Hier soir, j'ai passé la Saint-Valentin avec Jean-Sé et Philippe. Et deux milliers de mélomanes,
réunis avec une petite centaine de choristes, solistes et musiciens dans le grand
amphithéâtre de l'Opéra Bastille, autour de ma messe emblématique préférée...
la Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach, oeuvre monumentale de plus de deux heures.
C'était un concert de musique sacrée chanté par cinquante choristes du choeur de l'Opéra national
de Paris, avec l'orchestre de l'Opéra, dirigés par Philippe Jordan. J'avais la place depuis 4 mois!
Dans le programme ci-dessus, Philippe Jordan expliquait qu'il faisait chanter un répertoire
classique à ses choristes lyriques pour entretenir leur souplesse et leur légèreté vocale,
et que Bach constituait, à cet égard, une véritable gymnastique musicale. Il n'avait pas
choisi l'oeuvre au hasard, mais pour son caractère hétéroclite, et parce qu'elle était
l'une des oeuvres chantées les plus difficiles pour le choeur.
La messe en si mineur est hétéroclite car elle a été composée de pièces qui existaient déjà dans l'oeuvre de Bach.
Le Gloria, par exemple, est une cantate. Au départ, le compositeur avait proposé la première partie de la messe, celle
qui va du Kyrie au Cum sancto spiritu. Par la suite, il ajouta la deuxième partie, et en fit une messe catholique, en
ajoutant un Sanctus (qui n'existe pas dans les messes protestantes) . La tonalité dominante est le si mineur,
mais on y trouve d'autres tonalités, notamment le ré majeur.
J'étais tout en haut du 2è balcon, de face. La visibilité s'étant un peu réduite quand mon voisin de devant
s'assit (je ne voyais plus le chef, drame!), je passai à la place 3 qui était libre, deux places plus loin.
Voici le choeur et les musiciens. Vous constaterez qu'il y avait, pour cinquante choristes,
une bonne quarantaine d'instruments de musique, que le choeur dominait sans problème, ce qui
donne une idée de la puissance des choristes. De ma place, je n'entendais pas le clavecin ni l'orgue
de manière distincte, j'entendais les cordes, les cuivres, les vents, les timbales. Et les voix.
La messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach, pour les nouveaux lecteurs de ce blog, est l'oeuvre chorale préférée
de Pierre Molina, chef de choeur des Choeurs de Paris 13, où j'ai chanté pendant 9 ans. En 2008, j'ai donc appris la
messe en si mineur, en soprane 2, car elle comprend des choeurs à deux voix de sopranes. J'ai eu l'occasion de la
chanter trois fois en concert, en l'église de la Trinité à Paris, en la cathédrale Saint-Pierre de Lisieux, en l'église de Rupt
sur Moselle, dans les Vosges. A la suite d'un remaniement des effectifs des CP13, j'ai aussi appris la voix de
première soprane. Pendant le concert d'hier soir, j'ai oscillé toute la soirée entre les deux voix de sopranes...
Il était amusant que, l'année où je suis passée à l'apprentissage du lyrique, le choeur de l'opéra ait fait la démarche
inverse, chantant la Messe en si mineur, alors que je vais chanter Carmen...Echange d'expériences intéressante!
Dans le très long premier Kyrie qui ouvre la messe, en tonalité de si mineur, on constatait les différences
entre le choeur lyrique et le choeur classique, le choeur lyrique ayant une interprétation moins coulée,
moins legato, avec des notes tenues plus courtes, des attaques plus marquées, et une façon très
particulière de chanter les croches par deux. Il y avait un effort notable pour gommer le léger vibrato,
qui disparut complètement par la suite. En revanche, et Philippe Jordan en parlait dans le livret, le
choeur lyrique a une légère hétérogénéité que l'on s'applique à effacer dans le choeur classique,
alors que la pratique de l'opéra mettrait plutôt cette caractéristique en relief. J'admirai le deuxième
Kyrie, musicalement un peu torturé, superbe et donnant hier soir une fausse impression de facilité,
et souris devant l'explosion de la tonalité majeure retrouvée dans le Gloria. Les solistes étaient très bons,
mais la vedette de la soirée, c'était vraiment le choeur. Pour une fois, sur cette scène d'opéra où ces
choristes lyriques accompagnent des solistes à longueur d'année, les divas c'était eux!
Il y eut le redoutable Qui tollis, et ses demi-tons qui ne demandent qu'à vous faire baisser si vous n'y
prenez garde... impeccable. Puis le Cum sancto spiritu jaillit comme un feu d'artifice, me donnant des
frissons dans le dos! (je précise que je n'ai pas de manifestations physiques en le chantant...passer de
l'autre
côté est intéressant pour se rendre compte aussi de l'effet que l'on produit sur les auditeurs!)
Il clôturait cette première partie, brillamment exécutée. Je notai au passage l'excellente performance
des ténors dans la partie de fugue où ils sont solistes. Quand Philippe Jordan eut baissé les bras,
je lançai les applaudissements dans mon quartier du 2è balcon.
Les musiciens des grandes formations institutionnelles étant tenus, pour raisons syndicales, de ne pas jouer plus d'une
heure et demie d'affilée, je crois, il y eut un entracte. Le concert reprit sur les deux Credos, le premier
à cinq voix SSATB, "Credo in unum Deum", fut enchaîné avec le second "Patrem omnipotentem",
plus claquant, plus brillant, à quatre voix SATB, avec une tessiture plus aiguë en soprane. Après un solo
qui permit au choeur de récupérer, il enchaîna le "Et incarnatus est", où j'observai que les choristes
détachaient le "Et" de l'attaque comme nous le faisions, en douceur. Suivit le Crucifixus, terminé par un
très beau pianissimo du choeur, digne et recueilli. Puis l'explosion de joie du "Et resurrexit", à cinq voix
SSATB, un choeur difficile mais superbe à chanter. Ci-dessous les petits secrets de la partition:
La messe en si mineur est une messe très contrastée, qui explose volontiers. Elle explosait hier soir
d'autant plus que les choristes de l'Opéra national de Paris sont capables de nuances très riches,
et passaient du super-pianissimo du Crucifixus au super-fortissimo du Et resurrexit sans aucun
effort visible (ce qui est moins aisé pour des choristes amateurs, je le confesse!) J'ai noté au passage la
belle performance des basses, cette fois, très à l'aise dans leur partie soliste sur ce morceau.
Après un dernier solo, la partie Credo se conclut par le Confiteor, que j'ai autrefois qualifié de "lego
musical" parce qu'il est formé de briques qui s'emboîtent, et que l'on sent que Bach a joué pleinement avec ces
briques "confiteor" se répondant dans les cinq pupitres. "Et expecto... expecto... resurrectionem mortuorum!"
concluait gaiement cette partie du programme, c'était le dernier morceau du choeur avant l'apothéose...
Dans la dernière partie de la messe en si mineur, Bach a imaginé d'enchaîner trois choeurs difficiles:
un Sanctus lancinant, inimitable, impossible à confondre, à cinq voix, un "Pleni sunt coeli" à six voix en
doubles croches, très rapide et complètement épuisant, et un Osanna à huit voix, en forme de double choeur.
Après le passage solo du Benedictus, le Osanna est bissé... (comme dans toutes les messes)
Ci-dessous, un enchaînement des trois morceaux, par un choeur classique, le concert d'hier soir était
d'interprétation différente, car les voix lyriques sont plus riches en harmoniques, de différentes hauteurs,
que les voix des choristes classiques, mais cela donne une idée de la difficulté et de la beauté des trois choeurs
C'est le dernier flamboiement de la messe en si, l'équivalent du bouquet final d'un feu d'artifice. Ces
trois choeurs furent effectués avec maestria par le choeur de l'Orchestre national de l'opéra, qui sortit
toute sa puissance dans le bis du Osanna, au point que l'on aurait cru le concert fini. Mais l'oeuvre
se termine de manière apaisée, par l'Agnus Dei, un solo, suivi du Dona nobis pacem du choeur.
Je n'ai pas parlé des solos, qui étaient très bons, car on sentait la volonté de mettre les choristes
en avant dans ce concert, et parce que je parle mieux de ce que je connais bien. Quand j'avais appris la voix de
deuxième soprane du choeur, j'avais été frappée par le répit qu'elle apportait aux premières sopranes en les relayant
dans les hauteurs ici ou là pour leur laisser le temps de récupérer. Hier soir, les voix de solistes m'ont fait un effet
semblable, elles ont leur valeur propre, mais permettent aux choristes de retrouver l'énergie de continuer.
Ci-dessous, le témoignage de la satisfaction du public à la fin du concert
La scène est noire, c'est assez sombre, mais l'engouement du public était là!
La salle était pleine d'ailleurs, et il n'y avait plus de places en vente, à ma connaissance.
Il y a donc un public enthousiaste pour de grands concerts de musique sacrée à l'Opéra Bastille...
Sylvie, blogmestre
PS: le choeur de l'ONP a commenté cet article, je l'en remercie beaucoup (surtout les ténors! ;-)