Hier soir, j'avais acheté un autre billet d'occasion pour un spectacle de la Philharmonie
qui était à peu près complet, l'opéra La Pucelle d'Orléans de Piotr Ilitch Tchaïkovski par
le Choeur et l'Orchestre du théâtre du Bolchoï, sous la direction de Tugan Sokhiev.
Ma place était au 2è balcon de côté, suspendu, au-dessus du choeur.
L'opéra, en quatre actes et six tableaux, fut créé en 1881 à Saint-Petersbourg. Tchaïkovski était féru
de culture française, et au XIXè siècle, Jeanne d'Arc était à la mode. Tchaïkovski s'était inspiré de
la pièce homonyme de Schiller, de 1801, pour écrire son opéra. Il s'est aussi inspiré de Michelet, de
Wallon, et de Barbier. Ces sources diverses, pas forcément très exactes, donnent un assemblage
un peu hétéroclite, qui surprendra tout Français ayant appris à l'école l'histoire de Jehanne d'Arc,
la bergère de Domrémy partie de Lorraine en 1428 bouter les Anglois hors de France...
La troupe musicale du Bolchoï comprend 100 instrumentistes et 80 choristes.
Ils occupaient hier soir toute la scène de la grande salle de la Philharmonie.
Le concert, qui commençait à 19h, dura jusqu'à 22h40 environ. Il fut divisé en deux parties de
deux actes chacune, et entrecoupé d'un entracte. Dès l'ouverture, on comprend qu'il s'agit d'une
oeuvre que l'on aimera sans difficulté. Elle rassemble la facilité d'écriture de Tchaïkovski, et son
aptitude à séduire le public. Ecrite pour de nombreux instruments, elle est brillante et sonore. Le choeur
est un choeur russe, pas particulièrement un choeur lyrique, mais un choeur qui chante selon la
technique russe, que j'apprendrais volontiers, c'est-à-dire puissamment. Très puissamment. Dans les
passages fortissimo du choeur, je constate qu'il couvre l'orchestre et que les violons se battent pour exister...
Le livret est en russe, avec sous-titres en français.
Ci-dessus le choeur du Bolchoï, les choristes féminines ont une jolie tenue grise dont le haut est en dentelle
sur un bustier opaque, avec des sequins brillants, et des broderies. Il y a vingt choristes par pupitre SATB,
répartis en tessitures 1 et 2. Onze musiciens extérieurs complétaient l'ensemble, des trompettes et
trombones qui s'étaient placés en haut de l'arrière-scène à gauche du chef, et un organiste, le grand
orgue étant situé derrière l'arrière-scène à droite du chef. Les auditeurs des derniers rangs de l'arrière-scène
ont donc profité de la triphonie assez directe, l'orchestre et le choeur en face, les cuivres dans l'oreille droite,
et l'orgue dans l'oreille gauche, oreilles que certains n'ont pas hésité à boucher dans les passages héroïques!
Contrairement aux orchestres français, l'orchestre du Bolchoï n'utilisait pas les protections en plastique transparent
dont sont équipées les formations françaises, pour que les instrumentistes ne se gênent pas entre eux.
On voit ci-dessus Anna Smirnova, mezzo-soprano (en blanc), qui interprétait Jeanne dans l'opéra, ainsi
que Tugan Sokhiev, qui dirigea l'orchestre et le choeur à mains nues pendant plus de trois heures, des
mains très expressives, dont il utilisait les mouvements de doigts pour donner des indications sup-
plémentaires. Ce fut grandiose. La musique, la puissance des musiciens, l'excellence de l'ensemble.
L'histoire utilisée par Tchaïkovski est fidèle dans les deux premiers actes à ce que nous connaissons.
Jeanne, une bergère lorraine, est appelée par des voix célestes à voler au secours de Charles VII qui
est en train de perdre la France dans une guerre sans issue contre les Anglais. Elle quitte Domrémy
pour aller à Chinon rejoindre le roi, et avec sa présence qui galvanise les soldats français, la guerre
tourne à l'avantage de Charles VII. Puis entre en scène un certain Lionel (?), issu de la pièce de Schiller,
dont Jeanne tomberait éperdument amoureuse, ce qui altère le voeu qu'elle a fait de rester pucelle
pour sauver la France. Charles VII est couronné à Reims (c'est là qu'interviennent les instruments extérieurs)
dans le troisième acte. "Lionel" le séducteur fait son retour dans l'acte 4, ce qui nous vaut un duo
d'amour entre Jeanne et lui (Piotr Ilitch, mon ami, vous n'avez rien compris à la psychologie de la petite bergère...)
Finalement, c'est la faute morale que constitue ce sentiment pour "Lionel" (s'il s'était nommé Godefroy
au moins...) qui brise Jeanne. Dans Jeanne la Pucelle, Rivette la faisait courtiser par Gilles de Rais, ce qui paraissait
plus recevable, il est vrai que Tchaïkovski ne pouvait pas s'inspirer de Rivette... Elle accepte d'être châtiée et
brûlée vive pour la rédemption de son péché. Dans le livret, nous apprenons que Tchaïkovski avait écrit
à son frère "En lisant le livre sur Jeanne d'Arc et en arrivant au passage de l'abjuration et de l'exécution,
j'ai eu une terrible crise de larmes. J'ai eu soudain tellement mal, tellement pitié de l'humanité toute entière,
et j'ai été pris d'une épouvantable tristesse". Voici l'explication de l'existence de Lionel et de l'idylle:
Tchaïkovski a trouvé que la vérité crue de l'exécution de Jeanne par l'Inquisition parce qu'elle gênait avec
ses voix célestes était trop violente, et lui a inventé un bonheur terrestre pour atténuer sa souffrance.
Et cette version avec idylle est cohérente pour le romantisme de l'époque de son écriture.
Le choeur et l'orchestre du Bolchoï furent ovationnés à la fin de l'oeuvre, et rappelés abondamment
par des auditeurs ravis de cette magnifique prestation. Nous espérons vous revoir bientôt!
Sylvie, blogmestre
PS: Le 9 mars, j'aurais dû entendre le concert de Nelson Freire à la Philharmonie. J'avais acheté un billet d'occasion,
qui devait m'être remis en mains propres avant le concert. Mais le vendeur avait décidé, contrairement aux
conditions générales de vente, qu'il n'en ferait rien avant le concert... il m'en a fait part tardivement. Trop tard
pour moi. J'ai par conséquent demandé l'annulation de la vente, ne souhaitant pas faire 30km aller-retour pour
un concert dont l'existence du billet n'était pas certaine. Ce soir-là, je suis donc restée chez moi.