Dimanche 16 octobre, je suis partie d'Arcueil-gare un peu tard, ai pris le train de 9h52 et suis arrivée en gare de Saint-
Michel Notre-Dame vers 10h05, ai trouvé les distributeurs encombrés de touristes bataillant en multilingue, ai réussi à
imprimer un ticket à 10h07* d'où j'ai enlevé les données confidentielles, puis grimpé les escaliers vers le parvis de
Notre-Dame. La messe grégorienne avait commencé, les enfants de la Maîtrise chantaient le Gloria.
J'ai participé aux deux messes, grégorienne de 10h, et internationale de 11h30. La première était animée
par la Maîtrise d'enfants, sous la direction de Sylvain Dieudonné, et la deuxième par quatre solistes
SATB. Dans l'Evangile selon Luc, Jésus évoquait un juge sans crainte de Dieu et sans respect pour
les hommes, qui accédait quand même à la demande de justice réitérée d'une veuve, pour qu'elle
"arrête de l'assommer". Cette parabole, destinée à mettre en exergue la justice divine est psychologiquement fine,
quoique peu amène pour l'image de la justice humaine, et justifiant les excès procéduriers de plaignants déboutés.
Les quatre solistes de la messe internationale chantèrent le Kyrie, le Sanctus et l'Agnus Dei de la
messe d'Orlando de Lassus "Puisque j'ay perdu", et l'Ave verum corpus de William Byrd, ci-dessous.
A la fin des deux messes il nous fut rappelé un prochain grand concert de la Maîtrise de Notre-Dame,
le 18 octobre à 20h30, en la cathédrale, comportant les Vêpres d'un confesseur de Mozart en
pièce majeure, un Cantus d'Arvo Pärt, et des chants bibliques d'Antonin Dvorak.
La messe internationale s'est terminée vers 12h40**, je suis ressortie en direction de l'Hôtel de Ville,
par le Pont d'Arcole, car je devais rejoindre la Comédie Française après une pause repas.
Il faisait beau et doux. Pendant les deux messes, un très joli soleil
avait illuminé les vitraux dans le fond du choeur de la cathédrale.
Dans l'autre sens, il y avait brunch devant l'Hôtel de Ville. Mais il fallait être invité! Un monsieur qui avait déjà
mangé me montra son invitation et me confia avec regret que les portions étaient petites.
Je pris le métro à la station Hôtel de Ville, et sortis à Palais-Royal. Une petite halte dans un magasin
d'alimentation ouvert le dimanche à proximité du théâtre, puis déjeuner devant le Louvre...
Avant de rejoindre la place Colette, où un petit orchestre jouait du Pachelbel.
Puis j'ai retiré ma place à l'accueil de la Comédie Française.
La pièce représentée était "Père" d'August Strindberg, une histoire grinçante et sans espoir.
Un homme devient progressivement fou sous l'influence des femmes de sa maisonnée, en
tentant de soustraire sa fille à l'influence des autres personnalités féminines familiales. Avec l'aide
d'un médecin, à qui son épouse présente habilement les faits, qu'elle s'est arrangée pour falsifier
ou orienter, le père de famille est poussé à bout, puis ayant commis une voie de fait, mis sous
tutelle, et meurt en camisole de force. Michel Vuillermoz dans le rôle titre était excellent.
La mise en scène était d'Arnaud Desplechin, qui a écrit une lettre aux acteurs de la pièce, laquelle
figurait dans le programme qui nous avait été distribué. Il y évoque une guerre des sexes et l'aspiration
de la mère, épouse du Père, à s'émanciper. A contrario, j'ai vu dans celle-ci, jouée par Anne Kessler,
un personnage hystérique et mortifère, qui utilise la minorité de genre du père dans la communauté
familiale pour exercer le sadisme et la toute-puissance d'un esprit malade. Ainsi, elle intercepte son
courrier et le prive des bénéfices de ses découvertes scientifiques, qu'il ne pourra pas publier à
temps. Elle déforme volontairement ses actions et propos en les rapportant au médecin, qui ne
connait pas son époux, et dont elle a obtenu l'affectation auprès d'eux. Elle tisse patiemment une
toile d'araignée autour de cet homme qu'elle finira par dévorer, comme le font les arachnides après fécondation.
Le livret parle aussi du naturalisme à la Zola, je serais plus proche de cette vision de la pièce.
Voici les acteurs aux saluts. Strindberg démonte avec brio une mécanique sans pitié, où comment
la loi permet de se débarrasser en toute "légalité" d'une personne qui vous encombre. En effet, alors
que la mère a un entretien avec le médecin, qui a compris qu'elle lui mentait pour garder sa fille, celui-
ci lui fait part involontairement de la marche à suivre pour obtenir la tutelle de l'enfant: faire passer
le père pour fou, stratagème que la mère ignorait jusque là. Elle va donc s'ingénier à rendre son mari
fou en instillant le doute sur sa paternité, puis provoquer une agression (il lui lance un projectile,
qui ne l'atteint pas), la faire constater, et le faire vêtir de la camisole de force par sa nourrice à lui,
raffinement de cruauté (la camisole illustre très bien la manière dont une araignée entortille ses proies pour les
immobiliser). Je ne pense pas que ce soit un duel homme-femmes, la jeune fille n'est pas du tout
perverse, mais la mère l'est énormément. Peut-être est-ce un effet de la condition féminine au
XIXè siècle... Le père a aussi des revendications, et détaille l'abandon de ses ambitions personnelles
pour avoir privilégié le soutien de sa famille. Ce couple s'est détruit mutuellement, mais le plus fou
des deux, c'est elle, de mon point de vue (je ne peux pas être accusée de misogynie!) Il est glaçant de
voir que la Justice a prévu un dispositif permettant de dépouiller le père de ses prérogatives de chef
de famille, et que ce dispositif peut être manipulé pour interner un homme qui n'est pas fou.
Il est vertigineux de constater que ce dispositif institué dans l'intérêt général et celui des familles,
peut être employé comme instrument de persécution contre un homme qui est sain d'esprit
et a toujours rempli correctement ses devoirs de père de famille. Une mécanique infernale de
l'esprit humain décortiquée pendant deux heures, et son aboutissement judiciaire délirant.
Nauséeux, mais réel, et toujours d'actualité, malheureusement.
La pièce vient d'être remise à l'affiche de la Comédie Française où elle restera plusieurs semaines.
Elle fut très applaudie, après une hésitation du public due à la mort inattendue du personnage principal.
Le spectacle s'est terminé vers 16h, il faisait toujours beau et chaud dehors, et l'orchestre sur
la place Colette avait terminé son concert d'après-midi dominical.
Sylvie, blogmestre