Hier soir, pour clôturer en beauté une période d'activités culturelles intense, je suis allée voir l'opéra
de Mozart « Mithridate » au Théâtre des Champs Elysées. J'avais loué un très joli strapontin,
mais un siège plus élaboré, resté libre à proximité, m'a permis de m'asseoir plus confortablement, ce qui,
eu égard aux 3h15 de durée du spectacle, fut bienvenu.
C'était une chance pour moi, car le théâtre était très plein, même le deuxième balcon semblait avoir
été pris d'assaut par des mélomanes lyriques mozartiens. Impossible de prendre une photo avant
le concert, mais voici la position du strapontin dans le théâtre à l'entracte, vidé de ses occupants.
Mithridate, de Mozart est un « opera seria », c'est à dire un opéra « sérieux », par opposition à
« opera buffa », opéra bouffe, comique. C'est une œuvre dramatique que Mozart composa à l'âge de
quatorze ans, à partir d'un livret inspiré de la tragédie homonyme de Racine. L'âge du compositeur au
moment de la composition donne toute la dimension de son génie, car tant la musique que les caractères
des personnages sont aboutis, malgré la jeunesse de Mozart. Il est vrai que le drame de Racine a été écrit
en 1673 par un auteur plus âgé, et que l'utilisation qu'en a fait le jeune musicien est fidèle au drame original.
Mithridate était la tragédie préférée de Louis XIV, la pièce est très représentative du théâtre en vogue au
XVIIè siècle : roi, princes et princesses déchirés, amours impossibles, luttes de pouvoir, guerre, bravoure,
trahison, empoisonnements... Tout un univers tumultueux qui devait fort plaire à Versailles, puis
ultérieurement, à Milan, où l'opéra fut créé en 1770. L'opéra est en italien, sous-titré en français.
Il commença par une ouverture très agréable, gracieuse, jouée par le Concert d'Astrée depuis la fosse
d'orchestre, dirigé par Emmanuelle Haïm. L'exposition des personnages et de l'intrigue fut en revanche
plus ardue. Heureusement que nous sommes au pays de Jean Racine, et que nous avons
dans nos études peu ou prou abordé cette tragédie.
Mithridate était roi d'un petit royaume italien, et avait deux fils, Pharnace et Xipharès. Il y a déjà une
complication au départ, car les noms originaux ont été transformés dans l'opéra en Mitridate, Farnace, et
Sifare. Aspasia, qui s'appelait Monime pour Racine, est la fiancée de Mitridate. Celui-ci est parti en guerre,
et a fait croire qu'il était mort. Ses deux fils, qui sont tombés amoureux d'Aspasia, convoitent le trône,
et la fiancée de leur père. Mais le voici qui revient ! (Photo extraite du site du Figaro, Mithridate et Aspasia)
Patricia Petibon et Michael Spyres
L'interprétation d'Aspasia était ici chantée par Patricia Petibon, et celle de Mitridate par Michael Spyres,
Farnace par Christophe Dumaux, et Sifare par Myrto Papatanasiu, qui est une soprano. En effet, dans
l'écriture de Mozart, le roi est ténor, le prince aîné est contre-ténor, et le prince cadet est sopraniste,
les deux rôles des princes étant initialement tenus par des castrats. L'idée est assez surprenante, quand on
songe au souci permanent qu'avaient tous ces princes de s'assurer une descendance, et que Mozart, qui avait beaucoup
voyagé dans les cours d'Europe, devait bien connaître. Un peu de malice juvénile de la part du compositeur, peut-être ?
Cette distribution explique en partie que Mithridate soit un opéra peu joué, et la solution retenue par le
Théâtre des Champs-Elysées, confronté au problème du prince Sifare dont la tessiture est très haute, de
donner le rôle à une jeune soprano. L'inconvénient est que l'on perd en différence de timbres dans les duos entre
Sifare et Aspasia, puisqu'il s'agit alors de deux premières sopranes. Mozart ne savait pas que deux siècles et demi après
la création de son opéra, l'on ne mutilerait plus personne pour chanter plus haut... (et c'est bien heureux !)
L'autre raison qui fait de Mithridate un opéra peu joué est son côté statique un peu austère. Le metteur
en scène Clément Hervieu-Léger a introduit un peu de mouvement en créant une fausse mise en abyme, c'est-à-dire que
nous voyons des artistes lyriques en train de répéter l'opéra Mithridate à proximité d'une salle de spectacle, et l'opéra
prend corps sous nos yeux petit à petit, il y a même
C'est moins statique, mais plus embrouillé pour le spectateur, qui n'a pas eu le temps
de lire le gros programme disponible à l'entrée, et qui ne s'est pas documenté avant de venir voir l'opéra.
J'aurais, personnellement, compris plus vite l'intrigue si les princes et la fiancée du roi avaient été costumés en princes.
Mais Clément Hervieu-Léger explique très bien ce qu'il a voulu faire, dans la vidéo ci-dessous:
Clément Hervieu-Léger explique sa mise en scène
Cependant, l'intrigue se poursuivait sur le plateau, le roi atrocement jaloux de son fils cadet amoureux
de sa fiancée, et réciproquement, sommant celle-ci de l'épouser quand même, et arrêtant l'audacieux,
l'autre fils le trahissant avec les Romains. La fiancée avait tenté de mettre fin à ses jours par le poison,
mais avait été sauvée. Ce sera Mithridate qui mourra, revenu victorieux d'une guerre menée
avec ses fils, mais blessé, et unissant, avant de mourir, son fils cadet avec sa fiancée.
Plus on avançait dans l'intrigue, plus les chanteurs effectuaient des prouesses, plus ils étaient applaudis.
On ne peut que s'étonner de ces parties très aiguës et très acrobatiques composées par Mozart pour
les interprètes de son opéra. Toutes les voix sont des sopranos pour les femmes, et dans les voix
d'hommes, la plus grave est un ténor qui monte haut dans les aigus! Il s'agissait d'une commande,
et l'on peut se demander si Mozart ne s'est pas livré ici à un exercice de style.
L'opéra a été très applaudi, la salle était manifestement ravie de sa soirée, des chanteurs, de l'orchestre,
et de la musique. C'était une très belle représentation, félicitations à tous !
Ce spectacle a été enregistré, et sera diffusé ultérieurement à la télévision sur la chaîne Arte, et à la radio
sur France Musique. Il sera mis en ligne et visible en streaming à partir de demain soir 20 février sur le
site internet d'Arte. Voici aussi un article très intéressant paru dans Télérama en ligne,
pour les lecteurs qui souhaiteraient approfondir le sujet.
Il est visible au Théâtre des Champs Elysées jusqu'au 20 février.
Un dernier mot, Mithridate est passé à la postérité par sa phobie du poison, qu'il absorbait par doses croissantes
pour y accoutumer son corps, nous laissant .la "mithridatisation"...
Sylvie, blogmestre