Marivaux, auteur du siècle des Lumières, a décortiqué dans ses pièces la métaphysique du cœur,
ce qui faisait forte impression sur ses contemporains. Trois siècles après, il sonne toujours très actuel.
Après deux tentatives infructueuses pour cause de salle déjà pleine, je suis parvenue à voir, hier soir,
La double inconstance, de Marivaux, à la Comédie Française.
J'avais une place perchée au dernier rang à droite de la corbeille, et remarquai une odeur de vernis frais
émanant des boiseries de la salle Richelieu, qui me parut très pimpante pour son âge (1799, mais elle
a été reconstruite après un incendie). Le long rideau de velours rouge était revenu depuis mon dernier
passage. Combien de collégiens parisiens ont vécu dans cet écrin plein de souvenirs
leur toute première représentation théâtrale ?
On nous a distribué un livret présentant la troupe de la Comédie française, ce qui est une excellente
idée, et des informations spécifiques à la pièce, que j'ai lues avant la représentation. La mise en scène
est d'Anne Kessler, ainsi que la description des idées qui sous-tendent son interprétation. Des
peintures qui semblent extraites d'un story-board, et de très jolies photos des acteurs illustrent le livret.
La pièce parle d'un complot... Rencontrant par hasard une villageoise, Silvia, un Prince s'en éprend,
et la fait enlever. Silvia aimant un certain Arlequin, le Prince assisté de Flaminia, une de ses proches,
séparent le couple original en les conquérant séparément. Il s'avère que Silvia et Arlequin étaient
surtout assortis par leur milieu social d'origine, et que la réorganisation amoureuse avec leurs
nouveaux partenaires est possible pour tous deux. Les voici doublement inconstants.
Le livret nous dit que les contemporains de Marivaux s'étaient avérés plus sensibles à la mécanique
des sentiments qu'aux considérations sociales qui l'accompagnent (la redistribution des rôles n'est
possible que grâce à la fortune du Prince). A lire sur le papier, c'est assez moche. Mais lorsqu'on voit
Loïc Corbery dans le rôle du Prince, on trouve que Silvia (Adeline d'Hermy) a eu beaucoup de chance
avec sa destinée ! Cette réaction, qui est la mienne, et qui est probablement celle d'autres spectateurs,
rejoint la description faite dans la pièce d'une dame belle et pleine d'esprit, qui pour son malheur
avait eu la petite vérole, et étant restée marquée physiquement, n'était plus considérée que comme babillarde...
Nous aimerions tous être constants, fidèles à notre premier amour, mais la vie évolue, nous changeons,
les autres changent, les personnes que nous aimons follement à vingt ans, les aimerons-nous de
même à trente ? Qui peut le dire, et qui a le droit de juger ? Si nous vivons la même vie toute notre vie, la
constance sera plus aisée, mais si notre vie change profondément, la constance des sentiments,
quoiqu'il arrive, serait elle adaptée à notre évolution?
L'important est de ne pas faire souffrir, ce qui est parfaitement réalisé dans la pièce. La mise en scène
est très inventive, drôle, impertinente. Les acteurs sont excellents (mention spéciale aux deux acteurs
principaux, que j'avais déjà beaucoup appréciés dans le Misanthrope), la décoration et l'ambiance
sonore (anachronique, mais qui peut dire en quels temps nous sommes?) sont soignées
et servent bien le propos.
Pas de photo, nous a t'on demandé ! La lumière s'éteint puis se rallume quand les acteurs viennent
saluer, formant chaque fois de nouveaux couples sur la scène. Je croise le buste de Marivaux
qui nous sourit près de la sortie du théâtre... et immortalise l'auteur du marivaudage.
Une dernière photo avant de reprendre le métro place Colette, de la Comédie française vue de la bouche
de métro, sortie « Théâtres », qui est décorée de faux bijoux énormes, comme une grosse cocotte d'opérette.
Mais il faut reconnaître que ces énormes faux bijoux ont une photogénie certaine!
Sylvie, blogmestre