Hier soir j'ai vu la dernière représentation de l'opéra « La damnation de Faust » d'Hector Berlioz, à
l'opéra Bastille, avec l'orchestre national de l'Opéra et les choeurs de l'Opéra, sous la direction de
Philippe Jordan, dans une mise en scène futuriste de Alvis Hermanis. J'avais acheté un billet à la revente
à un autre amateur d'opéra, sur un site agréé, pour une place au dernier rang du parterre, d'où l'on avait la vue qui suit.
Mes voisins étaient charmants, le spectacle commença. Comme c'était la dernière, je m'autorise à dévoiler
la mise en scène : des panneaux étaient suspendus en hauteur, coupant l'espace visuel en deux parties
horizontales, en haut les écrans sur lesquels des images animées étaient projetées, tandis qu'en bas des
écrans des sujets, danseurs et chanteurs, évoluaient. L'action était située peu avant 2025, quand cent
personnes avaient été sélectionnées parmi 200.000 postulants pour aller vivre sur Mars, lors d'un voyage
sans retour. Un handicapé moteur en fauteuil, rappelant Stephen Hawking, parla d'une voix métallique,
expliquant la faillite de la philosophie, qui avait échoué à répondre aux questions des hommes. Faust
apparut, s'interrogeant, avec des images de la surface désolée de Mars au dessus de lui, succédant à des
champs de coquelicots, plus aimables à la vue, et précédant de la rosée sur les feuilles, ou des amas de
souris de laboratoire se hissant le long de parois de verre, après des fourmis dans une fourmilière. Ces
projections étaient accompagnées d'humains dans des cages vitrées, dont les mouvements rappelaient
ceux des animaux ou végétaux visibles sur les écrans. Une cohorte de scientifiques en blouses blanches
vint disserter et chanter autour de ce qui ressemblait beaucoup à des bocaux à fœtus, mais de taille adulte.
Des médecins, biologistes, physiciens ? Hawking fut ligoté à une machine qui en fit l'équivalent d'un noyau
atomique roulant sur lui-même au milieu des orbitales électroniques rouges de l'engin... Il y eut un peu de
danse. A l'entracte, je cherchai quelque chose qui puisse m'éclairer sur ce qui se passait sur la scène,
mais ne trouvai qu'un épais programme que je n'aurais jamais le temps de lire avant la deuxième partie
du spectacle. Faust chanta son amour pour Margarita, que nous entendîmes aussi, et Mephistophélès,
Satan, Astaroth, lui révéla que celle-ci irait en prison par sa faute car à force de verser du laudanum à
sa mère pendant leurs ébats, cette dernière en était morte... C'est là que Faust a signé un pacte avec la
créature diabolique, qui l'a expédié aux enfers et a sauvé Margarita, ai-je compris. Les enfers étaient ici
représentés par la chaise roulante de Hawking, lequel subissait une rédemption, que l'on portait à bout
de bras, et qui s'élevait vers le ciel, retrouvant transitoirement l'usage de ses membres. Parallèlement,
Faust était pour une éternité relative cloué au fauteuil de handicapé, payant son pacte avec Lucifer,
entouré des cent candidats au voyage interplanétaire sans retour, en combinaison bleue. Clap de fin.
Il y eut beaucoup d'applaudissements, et aussi des manifestations négatives. Musicalement, je crois que
le public, de manière générale, connait mieux le Faust de Gounod que la Damnation de Berlioz (que Bianca
Castafiore en soit remerciée...) La mise en scène était à la fois grandiose et déroutante, par ses parallèles qui
foisonnaient et entraînaient la pensée ailleurs, ailleurs qu'à l'infini, où elles sont pourtant supposées se rejoindre
(cette phrase est volontairement incompréhensible quoique culturellement soutenable). Je suis ressortie perplexe,
comme je l'avais été pendant tout le spectacle, et ai repris le métro. A la station Châtelet, le long du tapis roulant,
un rattus norvegicus de belle taille se repaissait de restes abandonnés par les voyageurs, en voilà un qui n'était pas
en bocal, au moins... La taille de l'animal me surprit, on voit de très petites souris près des rails du métro, pas des gros rats
au bord des tapis roulants! Un effet de la pleine lune ou du dérèglement climatique ? Un candidat quadrupède
leptospirosé volontaire pour aller coloniser Mars après avoir colonisé les entrailles métropolitaines?... Je m'égare...
Sylvie, blogmestre